Pourquoi la Turquie et le Qatar, soutiennent le gouvernement légal de Fayez el-Sarraj et envoient des soldats en Libye La Libye, le chaos dans tous ses états. Depuis la période romaine (146 av. J.-C,), à la conquête arabe (643), en passant par l’ère ottomane avec la conquête de Tripoli – « la côte des trois villes […]
La Libye, le chaos dans tous ses états.
Depuis la période romaine (146 av. J.-C,), à la conquête arabe (643), en passant par l’ère ottomane avec la conquête de Tripoli – « la côte des trois villes » – par Soliman le Magnifique (1551), la Libye, de par sa géographie, ses ressources naturelles aiguise, depuis des siècles, les convoitises, elle devient ainsi italienne au début du 20e siècle, avec le colonialisme européen (1911).
Opposée à une guerre d’indépendance, menée en particulier par la confrérie libyenne de la Senoussiya, l’occupation italienne durera jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale où Britannique et Français se partagent l’occupation du pays : Tripolitaine et Cyrénaïque passent alors sous contrôle britannique, Fezzan sous contrôle français.
Reconnu comme Émir de Cyrénaïque par le Royaume-Uni en 1946, Mohammed Idris El-Mahdi El-Senussi, exilé en Égypte depuis 1923 et petit-fils du fondateur de la confrérie de la Senoussiya, est proclamé roi de Libye le 24 décembre 1951 lors de l’accession du pays à l’indépendance.
L’ère Kadhafi.
En 1969 un groupe d’officiers, parmi lesquels le capitaine Mouammar Kadhafi, renverse le régime, Kadhafi se proclame rapidement colonel et instaure la République.
Entre 1969 et 1977, le régime libyen passe d’une république classique vers un modèle de gouvernement qui, officiellement, remet le pouvoir au peuple. Le 2 mars 1977 le colonel Kadhafi proclame alors la « jamahiriya », néologisme signifiant « l’État des masses », qu’il oppose à la « joumhouriya », la république.
L’économie de la Libye est basée presque exclusivement sur les revenus pétroliers. En 1968, le pays livre 126 millions de tonnes de pétrole et devient le premier producteur d’Afrique. En 2005, la Libye exportait 1,7 million de barils par jour, ce qui en faisait le second producteur de brut en Afrique après le Nigeria.
Politiquement et sociologiquement, la Libye de l’ère Khadafi, profitant des revenus pétroliers, s’urbanise (85 % de la population est urbaine) et acquiert un des niveau de vie le plus élevé du continent, son indice de développement humain surpasse celui de tous les pays d’Afrique. L’espérance de vie augmente passant à 74 ans, et le niveau d’éducation, en particulier des femmes, progresse, si bien qu’avant la chute du régime, les Libyennes étaient majoritaires à l’université.
Néanmoins, contrairement aux ambitions démocratiques de Kadhafi, voulant dans en principe l’abolition de tout pouvoir central au profit du « congrès populaires », le régime regroupe en fait l’essentiel du pouvoir. La volonté d’individualiser la société se heurte également à la construction tribale de la société.
Ainsi, dès les premières années du régime de Khadafi, les tribus se révèlent insolubles dans les « masses ». Les cadres de la « révolution », eux, jonglent dans une double allégeance au régime de Tripoli, mais aussi à leur tribu et à son cheikh.
En politique extérieure, Kadhafi, très inspiré par l’idéologie panarabe du président égyptien Nasser, ambitionne une alliance, voire une fusion avec les pays environnants. Plusieurs tentatives illustrent ce projet unificateur, comme en 1974, celui de réunir la Tunisie et la Libye en une entité. Inefficace, cette politique d’unification se portera en direction de l’Afrique subsaharienne, sans plus de réussite. Cela permettra, néanmoins de contrebalancer l’isolement de la Libye durant les années où elle dut vivre sous l’embargo imposé d’abord par les États-Unis puis par l’ONU et l’Union européenne.
Kadhafi, très anti-occidental, qu’il accuse, non sans raison, de néo-colonialisme, s’oppose aux grandes puissances de l’Ouest. Ainsi, en 1986 la France déclenche l’« opération Épervier » visant à mettre un terme à la présence de la Libye au Tchad. La bande d’Aozou, dont le sous-sol renferme des ressources inexploitées, notamment d’uranium, est au cœur du conflit. La Libye s’oppose également aux États-Unis, qui lui attribue plusieurs attentats terroristes, ainsi en 1982 le président Ronald Reagan décide le boycott du pétrole libyen. En 1986, à la suite de plusieurs attentats en Europe et d’accrochages aériens dans le golfe de Syrte, les Etats-Unis décrètent l’embargo commercial et bombardent Tripoli et Benghazi. En 1992, le conseil de sécurité de l’ONU vote un embargo aérien total. En 1993, l’ONU renforce ses sanctions en gelant les avoirs libyens à l’étranger. Le début des années 2000, marquera néanmoins une détente dans les tensions Occident-Libye, la Libye étant alors considéré un maillon important de la lutte contre l’immigration illégale et la lutte contre l’islamisme radical.
Fin de l’ère Kadhafi et jeu des grandes puissances.
Le « printemps arabe » qui débute fin 2010 en Tunisie marque un tournant pour la Libye de Kadhafi. Le 15 février 2011, des manifestations à l’Est de la Libye, dans la ville de Benghazi, fief des islamistes, sont durement réprimées par le régime (4 morts et 38 blessés). Le 17 février 2011, appelé « journée de la colère », un kamikaze jette sa voiture piégée contre le portail d’une caserne à Benghazi qui permet aux insurgés de s’armer. Le soir du 20 février et surtout le 21 février, la contestation s’étend à Tripoli. Les 40 000 à 50 000 manifestants de la capitale affrontent les forces de l’ordre, qui auraient tué plus de soixante personnes en une journée. De nombreuses autorités appellent à l’insurrection contre le régime de Kadhafi : une coalition d’oulémas encourage le peuple à se soulever contre le régime. Ainsi, une fatwa est émise par le prédicateur frère musulman Youssef al-Qaradâwî, appelant l’armée à assassiner Kadhafi.
Dès le début, les manifestations anti-gouvernementales sont fortement structurées et armées ce qui dénote d’une préparation en amont. Cette préparation en amont semble être confirmée par la presse italienne qui accuse la France de manœuvrer en coulisses depuis novembre 2010 et d’avoir livré des armes aux insurgés le 6 mars 2011, soit avant que la résolution 1 973 du Conseil de sécurité de l’ONU soit adoptée, le 17 mars, à la demande de la France, du Royaume-Uni et du Liban.
Cette résolution qui avait pour objectif théoriquement de « protéger la population libyenne » se révèle très vite dans les faits comme une opération visant à faire tomber le régime libyen et détruire son armée. Ainsi, la résolution 1 973 du Conseil de sécurité des Nations unies a donné aux Russes et aux Chinois le sentiment qu’ils avaient été dupés, cette résolution prise pour éviter davantage de morts ayant été transformée en processus de changement de régime.
D’ailleurs, l’implication de la France et de la Grande-Bretagne dans le changement de régime libyen a été très rapide et très importante. Un mois après le début des « manifestations », le 23 mars 2011, le président Nicolas Sarkozy déclare :
« Si Kadhafi était entré dans Bengazhi, Srebrenica à côté serait passé pour un non-événement [sic]. L’Europe elle n’avance pas sans l’Allemagne; mais pour la défense, on avance avec les Anglais. Le deuxième objectif de cette opération en Libye, c’est toute la question de nos relations avec les pays arabes réussissant leur marche vers la démocratie et puis la troisième chose, ce sont les valeurs de la France. Si nous n’avions pas fait ça aurait été une honte. »
La mise en avant des « droits de l’homme » et de l’« humanisme » pour justifier les interventions militaires est une technique bien rodée des puissances occidentales afin de convaincre des opinions publiques, déjà bien acquises et parfois familières au pouvoir. Les raisons réelles, d’intérêts économiques, géopolitiques, de ces interventions nous en avons l’exemple avec les e-mails rendus publics de l’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton où sont listés les facteurs réels de l’intervention française en Libye.
Le mémo liste ainsi cinq facteurs motivant l’engagement de Nicolas Sarkozy à mener cette guerre en Libye :
« 1. Un désir d’obtenir une plus grande partie du pétrole libyen ;
2. accroître l’influence française en Afrique du Nord ;
3. améliorer sa situation politique intérieure en France ;
4. offrir à l’armée française une chance de rétablir sa position dans le monde ;
5. répondre à l’inquiétude de ses conseillers concernant les plans à long terme de Kadhafi de supplanter la France comme puissance dominante en Afrique de l’Ouest ».
Après la chute de Kadhafi la Grande-Bretagne, de même que la France, ne semble plus s’inquiéter et se préoccuper de la vie et de la « protection » des Libyens : ainsi, l’Organisation internationale pour les migrations note le développement de la traite d’êtres humains dans la Libye post-kadhafiste. Selon l’organisation, de nombreux migrants sont vendus sur des « marchés aux esclaves » pour 190 à 280 euros. Par ailleurs, en 2007, la Libye est le pays le plus développé d’Afrique si on se réfère au classement IDH (Indice de développement humain) établi par le Programme des Nations unies pour le développement, celui-ci étant de 0,840. En 2013, selon le même organisme, l’IDH de la Libye a connu la plus forte baisse annuelle parmi les 187 pays examinés, pour redescendre à 0,78.
En 2017, 60 % de la population libyenne souffre de malnutrition. 1,3 million de personnes sont alors en attente d’une aide humanitaire d’urgence, sur une population totale de 6,4 millions d’habitants.
En octobre 2011, Kadhafi est capturé et exécuté par les « manifestants » qui sont devenus « rebelles » ou « insurgés » entre-temps. Le Conseil national de transition (CNT) créé le 27 février 2011 prend le pouvoir et organise des élections, il est alors remplacé, le 8 août 2012, par le Congrès général national (CGN), assemblée constituée de 200 membres. En août 2014, à la suite de nouvelles élections, le Congrès général national est remplacé par une nouvelle assemblée, la Chambre des représentants. Néanmoins, une minorité de membres non réélus de celui-ci décide de s’installer à Tripoli et de rétablir l’ancienne législature, qui devient alors rivale de la Chambre des représentants, seule reconnue par la communauté internationale.
Deuxième guerre civile libyenne.
3 gouvernements rivaux s’opposent alors dans la seconde guerre libyenne :
. Le gouvernement de Tobrouk (Chambre des représentants),
. Le gouvernement de Tripoli (Congrès général national),
. Gouvernement d’union nationale.
Pour mettre fin à cette seconde guerre civile, le gouvernement el-Sarraj, aussi appelé gouvernement d’union nationale (en anglais : GNA, pour Government of National Accord) ou gouvernement d’entente nationale, est formé sous l’égide de l’ONU et devient le gouvernement de la Libye depuis le 12 mars 2016.
Néanmoins, le 22 août 2016, le Parlement de Tobrouk, réuni avec 101 membres sur 198, réclamant le maintien de Haftar, rejette par 1 voix pour, 39 abstentions et 61 contre, la confiance au gouvernement d’union et charge el-Sarraj de former un nouveau gouvernement.
Aujourd’hui les deux gouvernements, le gouvernement d’union nationale siégeant à Tripoli (nord-ouest de la Libye), présidé par Fayez el-Sarraj et seul reconnu par la communauté internationale, et le gouvernement de Tobrouk (nord-est de la Libye) dirigé par Khalifa Haftar, sont toujours en conflit armé. Par ailleurs, des tribus, Ouled Slimane, Toubous, contrôlent le Sud de la Libye, s’alliant selon les circonstances avec l’un ou l’autre des gouvernements en conflit.
Aujourd’hui, les forces de Khalifa Haftar, l’autoproclamée « armée nationale libyenne », association de groupes disparates d’anciens militaires kadhafistes, de miliciens tribaux et de combattants salafistes organisée autour d’un noyau dur d’armée régulière, contrôlent la plus grande partie du territoire syrien, les forces de Fayez el-Sarraj regroupées dans le Nord-ouest, principalement dans les villes de Misrata, Syrte et Tripoli, sont beaucoup moins nombreuses et armées que celles de son rival :
Dans cette guerre au pouvoir, dans un des pays africains les plus riches en hydrocarbures, au 4e rang des pays d’Afrique par sa superficie, qui a des frontières avec 6 pays d’importance (Égypte 1 150 km, Tchad 1 055 km, Algérie 982 km, Tunisie 459 km, Soudan 383 km et Niger 354 km), et qui possède 1 770 km de côtes en Méditerranée, ce qui a une grande importance dans la délimitation des « zones économiques exclusives » (espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains), alors que l’exploitation des hydrocarbures commence en Méditerranée méridionale, il n’est pas étonnant dans un tel contexte que les parties en présence en Libye soient soutenues, pour des raisons économiques et géopolitiques, par des puissances extérieures.
Ainsi, les principaux soutiens du gouvernement légal de Fayez el-Sarraj sont la Turquie et le Qatar, quant aux soutiens de son adversaire Khalifa Haftar se sont principalement l’Égypte, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, la Russie et la France.
La Turquie a signé des accords de « zones économiques exclusives » avec le gouvernement légal de Fayez el-Sarraj, néanmoins l’offensive militaire de Khalifa Haftar contre la Tripolitaine où siège le gouvernement, offensive contre laquelle ses soutiens s’opposent vaguement, risquant de faire chuter le gouvernement élu, la Turquie a pris la décision de le soutenir militairement, le parlement turc a ainsi validé une intervention militaire le jeudi 2 janvier 2020, néanmoins, cette décision d’intervention a été critiquée Paris, Berlin et Rome, réunis à Bruxelles, condamnant « les ingérences extérieures » dans le conflit libyen.
Il est pour le moins ironique que ceux qui ont créé le chaos libyen se posent aujourd’hui en médiateurs. Alors que l’intervention militaire occidentale de 2011 en Libye avait pour objectif, du moins dans les termes, de « protéger la population libyenne », aujourd’hui cette même population est livrée aux milices, à la faim, et aux marchés d’esclaves, sans que les puissances occidentales ne développent de politiques pour lutter contre ces violences contre les civils, bien au contraire comme le remarque le chercheur à l’institut des relations internationales Jalel Harchaoui :
« Personne – ni les Libyens de la région de Tripolitaine, ni les États étrangers ni l’ONU – n’a déployé de réels efforts pour construire un État. Au contraire, nous avons vu une tentation, voire un intérêt, à travailler avec les milices.»
« Les États étrangers ne sont pas les seuls coupables, mais il est important de souligner leur rôle. Les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et la France, en particulier, n’étaient que trop heureux de courtiser les milices. »
Les milices étant toujours promptes à collaborer avec les forces d’occupation :
« Ces milices étaient assez intelligentes pour savoir que pour recevoir un soutien et plaire à certains acteurs, elles devaient mener une guerre politique contre des groupes comme les figures islamistes et les groupes qu’ils ont expulsés de la capitale. »
Plus généralement, il est, en effet, du ressort psychologique des collaborateurs sur le terrain de croire que les divergences d’intérêts des grands acteurs serviront leur propre intérêt, jusqu’à qu’ils soient également sacrifiés par leurs anciens maîtres et sponsors. Les internationalistes et autres gauchistes anti-République en Turquie, qui travaillent activement contre la République de Turquie, devraient en prendre des leçons s’ils étaient moins écervelés.