Les domaines géopolitique, politique et économique sont toujours liés, et le domaine de l’énergie se trouve au carrefour de ces relations, ainsi, afin de comprendre les enjeux énergétiques, dans le cadre actuel des relations conflictuelles UE-Russie, et dans le cadre plus général des tensions et conflits Occident – puissances émergentes, il est utile de définir […]
Les domaines géopolitique, politique et économique sont toujours liés, et le domaine de l’énergie se trouve au carrefour de ces relations, ainsi, afin de comprendre les enjeux énergétiques, dans le cadre actuel des relations conflictuelles UE-Russie, et dans le cadre plus général des tensions et conflits Occident – puissances émergentes, il est utile de définir les composants techniques du domaine énergétique et leurs interrelations aux composants politiques.
Circuit énergétique.
Selon les objectifs d’utilisation, il est souvent nécessaire de transformer, par des procédés techniques, un type d’énergie en un autre type d’énergie.
Par exemple, dans le secteur automobile, l’énergie thermique est transformée en énergie mécanique, ou, pour les véhicules électriques, l’énergie électrique est transformée en énergie mécanique.
Il existe principalement trois sortes d’énergie qui permettent d’obtenir, par transformation, d’autres sortes d’énergie :
Les énergies cinétique et électromagnétique sont principalement utilisées dans la production d’électricité.
Sources énergétiques.
Les sources d’énergie thermique sont les combustibles fossiles comme le pétrole, le gaz et le charbon.
Les sources d’énergie cinétique et électromagnétique, qui permettent de créer de l’énergie électrique, sont principalement l’uranium pour le nucléaire, le charbon, le gaz, l’eau, le vent et le solaire.
Consommation énergétique.
En 2020, la consommation mondiale d’énergie était de 50 % pour le chauffage et le refroidissement, de 33 % pour les transports et de 17 % pour la production d’électricité.
La consommation mondiale totale d’énergie par souce en 2020 était de :
Ainsi, les matières premières fossiles représentent 84 % des sources d’énergie dans la consommation mondiale en énergie.
Pour la production de l’électricité également, les matières premières fossiles représentent plus de 60 % des sources d’énergie.
Combustibles fossiles.
Les principaux combustibles fossiles sont le charbon, le pétrole brut et le gaz naturel. Ils permettent de créer de l’énergie thermique par combustion.
Les combustibles fossiles sont plutôt bon marché, avec des bons rendements, ils sont également indépendant vis-à-vis des aléas météorologiques et sont facilement transformables en produits dérivés.
Néanmoins, leur combustion produisant des gaz à effet de serre, principalement le dioxyde de carbone et le méthane, ils participent au réchauffement climatique.
Le gaz étant considéré comme moins polluant que les autres combustibles fossiles et pour des raisons politiques (découvertes de réserves de gaz en Méditerranée orientale), l’Agence internationale de l’énergie a affirmé que le gaz naturel avait sa place pour atteindre, en termes de pollution, les objectifs de l’accord de Paris de 2015.
Par ailleurs, les ressources en combustible fossile étant inégalement distribuées sur la planète, cela crée des questions de sécurité d’approvisionnement.
Importations de gaz et pétrole dans l’UE.
La Russie est le principal fournisseur en combustible fossile de l’UE.
Ainsi, en 2021, c’était le plus grand exportateur de pétrole et de gaz naturel vers l’Union européenne – 155 milliards de mètres cubes pour le gaz, 870 millions de barils pour le pétrole :
43.6 % du gaz consommés dans l’UE provenaient de Russie – les autres fournisseurs de gaz étant la Norvège 23 %, l’Algérie 10 %, le Royaume-Uni 6.5 % et les États-Unis 5 %.
48,4 % du pétrole consommé dans l’UE provenait également de Russie – le second pays fournisseur étant la Norvège 18 %, puis l’Algérie 16.2 %, les États-Unis 5.8 % et le Qatar 4.4 %.
Guerre russo-ukrainienne et sanctions occidentales.
À la suite de la guerre russo-ukrainienne de 2022, les Occidentaux (États-Unis et UE) ont annoncé une série de sanctions contre la Russie :
Les États-Unis et l’Union européenne ont étendu les sanctions bancaires afin de couper “les banques russes” du système SWIFT. Ainsi, les actifs de la Banque centrale de Russie détenue dans les pays occidentaux ont été gelés : la Banque centrale de Russie n’a pas pu accéder à plus de 400 milliards de dollars de réserves de changes détenues à l’étranger. Les comptes dans les banques occidentales appartenant à Gazprom ont également été gelés.
Les États-Unis ont institué des contrôles à l’exportation, une nouvelle sanction visant à restreindre l’accès de la Russie aux composants de haute technologie, tant matériels que logiciels, fabriqués avec des pièces ou propriété intellectuelle des États-Unis.
Parmi les sanctions :
Saisis de yachts pour plus de 2 milliards de dollars dans toute l’Europe.
Interdiction par l’UE de vente aux compagnies russes d’avions et de pièces.
Fermeture par l’UE et les États-Unis de leur espace aérien aux avions russes.
Ainsi, plus de 3 300 personnes, 1630 organisations, 537 entreprises, 276 entités légales et 113 navires sont-ils ciblés en Russie par les sanctions de l’UE et des États-Unis.
En réponse aux sanctions de gel de ses avoirs financiers en dollars ou en euros, la Russie a demandé que les importateurs européens de gaz et pétrole russes payent leurs achats en roubles (monnaie de la Russie).
Le 28 mars, le ministre allemand de l’Économie, Robert Habeck, a annoncé que les pays du G7 avaient rejeté la demande du président russe que le paiement du gaz soit effectué en roubles. Le même jour, le porte-parole du président russe, Dmitri Peskov, a déclaré que la Russie “ne fournirait pas de gaz gratuitement”.
Ainsi, suite au refus de la Pologne et de la Bulgarie d’acheter le gaz en monnaie russe, le 26 avril 2022 Gazprom a annoncé qu’elle cesserait de livrer du gaz naturel à la Pologne via le gazoduc Yamal-Europe et à la Bulgarie à partir du lendemain.
Combustibles, politique et identité.
C’est dans ce contexte de tensions géopolitique et énergétique, et dans une opposition politique à la Russie, parfois xénophobe, et sur lesquels les dirigeants européens voudraient édifier un sentiment d’“identité européenne”, voire, même si le terme est contradictoire, de “nationalisme européen”, Emmanuel Macron avait déjà parlé en 2017 d’“Europe de la souveraineté”, que la Commission européenne a bâti le plan “REPowerEU” – qu’il serait possible de traduire par “de nouveau l’Europe-puissance”, non seulement sur le plan énergétique, mais également, donc, politique.
Le plan, proposé le 18 mai, a un objectif clair : se passer du charbon, et surtout du gaz et du pétrole en provenance de Russie d’ici à 2027.
REPowerEU.
Dans cette optique, le plan “REPowerEU” (230 milliards d’euros jusqu’à 2030) prétend :
1) Concernant les économies d’énergie, ce sera aux consommateurs européens de réduire leur utilisation de gaz ou d’essence.
2) Pour ce qui est des énergies propres (c’est-à-dire qui ne produisent pas ou produisent peu de gaz à effet de serre) et renouvelables (c’est-à-dire dérivées de processus naturels qui sont constamment renouvelés), cela requiert de passer au tout électrique.
En effet, les sources d’énergie propres et renouvelables sont principalement utilisées pour produire de l’électricité.
Parmi les énergies propres, le vent, l’eau, le soleil, la biomasse et la géothermie sont les principales.
Le nucléaire produit peu de gaz à effet de serre, mais n’est pas considéré comme une énergie propre, car il produit des déchets radioactifs (conduisant à des flux de déchets qui restent préoccupants pendant des millénaires) et est catastrophique pour l’environnement en cas d’explosion dans les centrales. Il n’est pas considéré non plus comme renouvelable, car utilisant une source de combustible épuisable, l’uranium 235.
Les principaux acteurs de l’énergie nucléaire dans le monde sont les États-Unis et la France – en France, 40 % de l’électricité sont produits par le nucléaire.
Actuellement, la part des énergies propres et renouvelables dans le monde dans la production d’électricité est de 29 %, la part des énergies fossiles étant de 60 %, 11 % pour les autres sources d’énergie.
L’UE s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030 (programme “fit 55”). Mais, afin de ne pas contraindre les États-Unis et la France, n’a pas exigé de limitations concernant le secteur nucléaire.
3) Enfin, pour la dernière partie du programme “REPowerEU”, en ce qui concerne la diversification des sources d’approvisionnement en combustible fossile, cela exige de s’approvisionner dans les pays producteurs de gaz ou de pétrole.
Concernant le gaz, les principales réserves sont (en milliards de m³) dans les pays suivants :
La Russie (47 798), l’Iran (33 980), le Qatar (23 871), l’Arabie Saoudite (15 910), les États-Unis (13 167), le Turkménistan (11 326), Chine (6 654), les Emirats Arabes Unis (6 088), le Nigeria (5 748), le Vénézuela (5 663), l’Algérie (4 502), l’Irak (3 738), l’Australie (3 228), le Mozambique (2 832), le Canada (2 067), l’Ouzbékistan (1 841), le Kazakhstan (1 840), l’Egypte (1 784) , le Koweït (1 784), l’Azerbaïdjan (1 699), la Norvège (1 557).
Diversification des sources d’approvisionnement.
Dans ce contexte, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, voyage, avec une vive énergie, à la recherche de sources d’énergie alternatives afin de compenser le gaz et le pétrole russes.
Fin mars 2022, la présidente de la Commission s’est ainsi rendue aux États-Unis pour rencontrer le président américain Joe Biden, qui se sont mutuellement félicité dans leur politique de réduction d’importation de gaz de Russie. Leyen demandant plus de soutien des États-Unis.
En juin 2022, Ursula von der Leyen s’est ensuite rendue au Caire afin de signer un accord tripartite d’exportation de gaz naturel, provenant des réserves en Méditerranée orientale, avec l’Égypte et Israël.
En juillet 2022, la présidente de la Commission, a rencontré à Bakou le président Ilham Aliyev afin de renforcer la coopération existant entre l’UE et l’Azerbaïdjan avec l’objectif d’augmenter les importations de gaz naturel de la part de l’Azerbaïdjan vers l’UE.
Le nouveau protocole d’accord sur un partenariat stratégique dans le domaine de l’énergie signé par les deux présidents comprend un engagement à doubler la capacité du corridor gazier sud-européen afin de fournir chaque année au moins 20 milliards de mètres cubes d’ici à 2027 à l’UE.
Étrangement, alors qu’en France, les accords gaziers de l’UE avec l’Égypte et Israël n’ont été sujets d’aucune grogne, concernant la “démocratie” ou le réchauffement climatique, ceux de l’UE avec l’Azerbaïdjan ont donné suite à toute une série de réactions d’indignation du monde médiatique, politique et des organisations civiles, allant jusqu’à, dans une tribune signée par 50 élus, publiée au journal “Le Monde”, accuser l’Azerbaïdjan de volonté “exterminatrice” contre son voisin arménien.
Ces accusations sont aberrantes et impudentes lorsqu’on connait la réalité sur le terrain.
Il faut d’abord rappeler que l’Azerbaïdjan est un pays laïc et, sur le chemin de la démocratie, beaucoup plus démocratique que 95 % des fournisseurs d’énergie à l’UE.
Il faut également rappeler qu’en 1988, c’est l’Arménie qui a chassé, dans des conditions dramatiques lors de pogromes et de déportations, plus de 200 000 habitants d’origine azérie qui vivaient en Arménie depuis des siècles. Aujourd’hui, il ne reste plus un seul habitant d’origine azérie en Arménie, alors qu’il y a des milliers d’habitants d’origine arménienne en Azerbaïdjan qui y vivent sans ostracisme.
Rappelons aussi, qu’entre 1992 – 2020, l’Arménie a occupé plus de 20 % du territoire de l’Azerbaïdjan, massacrant plusieurs milliers de civils et chassant 1.000.000 d’Azerbaïdjanais de leurs terres.
On pourrait ainsi se demander qui en veut à qui ?
On pourrait également se demander, concernant les questions climatiques, si le gaz azerbaïdjanais est polluant, le gaz égyptien, israélien ou grec ne pollue t-il pas ?
En France, concernant l’Azerbaïdjan, la pollution est plutôt dans les têtes.
Gaz en Méditerranée orientale.
Avec la découverte de réserves de gaz en Méditerranée orientale, le principe de “zone économique exclusive” est devenu important.
Une zone économique exclusive (ZEE) est, d’après le droit de la mer, un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains et économiques en matière d’exploration et d’usage des ressources naturelles. Elle s’étend à partir de la ligne de base de l’État jusqu’à 200 milles marins (370,42 km) de ses côtes au maximum, au-delà, il s’agit des eaux internationales.
Pour les États côtiers, sont considérées comme eaux territoriales, l’espace compris depuis la côte jusqu’à 20 km le long des eaux.
L’État côtier peut demander la propriété de l’espace maritime qui va depuis les côtes jusqu’à 370 km, c’est ce qui, dans le droit de la mer, s’appelle une zone économique exclusive.
Cela a son importance lorsqu’il s’agit de savoir à qui appartiennent légalement les régions où se trouvent les réserves, en l’occurrence ici de gaz.
L’affaire se complique en cas de présence d’îles étrangères près des côtes d’un État, le droit de la mer dans ce cas est flou.
Ce qui est le cas pour la Turquie entourée d’îles grecques. La Grèce, arguant le droit de ses îles à des zones économiques exclusives, s’est appropriée toutes les eaux méditerranéennes le long des côtes turques.
Un exemple, qui confine à l’absurde, l’île grecque de Kastellorizo – Meis – une micro île de 12 km2 à seulement 3 km des côtes turques, s’est appropriée, en déclarant zone économique exclusive, un espace de 4000 fois sa superficie. Ne laissant à la Turquie, qui a un territoire de 780 000 km2 – soit 65 000 fois la superficie de l’île grecque – et près de 1 000 km de côtes en Méditerranée, que ses eaux territoriales.
Une carte, établie avec uniquement les revendications extrémistes grecques, sera tracée par un universitaire espagnol de Séville – appelée carte de Séville.
Prenant référence sur cette carte usurpatoire et de réalité mensongère, l’Union européenne, à la fois juge et partie, affirmera, dès lors, dans un esprit d’iniquité et de partisanerie, voire de nationalisme, que ces eaux sont la propriété de Grèce et donc de l’UE.
L’opposition légitime de la Turquie à ce fait accompli, et ses prospections énergétiques, avec ses 4 navires d’explorations (Fatih, Yavuz, Kanuni et dernièrement Abdülhamid Han), dans ce qu’elle considère comme sa zone économique exclusive, créeront des tensions avec la Grèce, qui, en août 2020 mettra ses forces en alerte en envoyant ses bâtiments militaires dans les régions de prospection de la Turquie, près des côtes turques.
D’autres États européens en soutien de la Grèce enverront des bâtiments militaires, notamment la France et l’Italie. Emmanuel Macron avait immédiatement annoncé un renforcement de la présence militaire française en Méditerranée orientale, avec les frégates La Fayette et porte-hélicoptères amphibie Tonnerre.
Ces menaces européennes contraindront la Turquie à rappeler, fin 2020, ses navires de prospections.
Aujourd’hui, les champs gaziers en méditerranée Orientale sont les suivants – en milliards de m³ :
Chypre, qui a découpé sa zone économique exclusive (ZEE) en 12 blocs, revendique les champs suivants :
Israël :
Egypte :
Sur le terrain géopolitique.
Le concept de guerre :
Avant d’unifier leurs intérêts, les États de l’espace européen ont souvent fait la guerre les uns aux autres.
Ils ont également fait la guerre en alliance ou en opposition à des États périphériques de l’Europe, principalement les Russes et les Turcs, et ensuite, à l’époque coloniale en Afrique et en Asie de l’Est.
En effet, dans un espace géographique proche il est inévitable que les puissances ne soient pas en concurrence et ainsi en guerre.
Ainsi, au début de l’ère chrétienne à la Deuxième Guerre mondiale, il y aura eu plus de 700 guerres et batailles entre les puissances européennes.
Les motifs des guerres ne varient pas beaucoup :
Guerres modernes :
Les guerres ont ainsi été le moyen, pour un État, d’étendre ou de sauvegarder son autorité sur des territoires.
Néanmoins, avec les progrès techniques, les guerres ont été de plus en plus meurtrières dans un laps de temps de plus en plus court.
Ainsi, si les guerres de religion en France – catholiques contre protestants – feront 3 millions de morts en 36 ans, les guerres napoléoniennes feront 6 millions de morts en 12 ans, la Première Guerre mondiale 16 millions de morts en 4 ans, et la Deuxième Guerre mondiale 60 millions de morts en 6 ans.
Après la Deuxième Guerre mondiale, et l’invention des armes nucléaires, les États risquaient l’anéantissement.
Nouveaux concepts contre l’anéantissement :
De nouveaux concepts apparurent dès lors ou redevinrent d’actualité : libéralisme, intégration économique, mondialisation, globalisme, multilatéralisme, démocratie, droits de l’homme, droit international, etc.
L’idée était que des interdépendances économiques et politiques rendraient les États plus solidaires, liés les uns aux autres, que cette solidarité serait légitimée et cimentée par le droit international, que le droit international serait le mieux respecté par des démocraties, et qu’ainsi il serait possible de se prémunir des guerres.
Ainsi, hormis quelques guerres, comme la guerre coloniale de la France en Algérie (1954 – 1962), les guerres de l’Occident se feront désormais au nom des “droits de l’homme”, de la “démocratie” etc., et seront définies comme les guerres qui mettront fin aux guerres : guerres contre le communisme (Viêtnam, Corée), la guerre contre les régimes arabes (Irak, Syrie, Libye), ou les mouvements islamistes.
Contradictions du système international :
Néanmoins, l’idéal de la paix dans le monde ne résistera pas aux intérêts des États, occidentaux en particulier, dont les expéditions militaires au nom de la “démocratie” seront perçues comme de l’impérialisme, du néo-colonialisme, et donc comme un moyen de servir leurs intérêts, le concept de “civilisation”, connoté négativement, étant remplacé par celui de “démocratie”.
Cette situation paradoxale – de “colonialisme universaliste” – est explicable de manière logique. En effet, en Occident le libéralisme, le socialisme ou toute forme d’idéologies politiques libertaires sont uniquement d’État, en collaboration avec celui-ci, c’est-à-dire ne peuvent s’exercer uniquement que dans le cadre légal des États, et ont, ainsi, un caractère défini en fonction de l’État où ces idéologies s’exercent, ce qui signifie qu’elles ne sont pas universelles.
Ainsi, un État ne peut en même temps agir au nom de l’universalisme (donc de manière désintéressée), et au nom de ses intérêts particuliers toujours partiaux (économiques, géopolitiques, d’hégémonie où, les ressources étant finies, il y a des gagnants et des perdants), ce qui revient à être juge et partie, et donc unilatéral.
Par conséquent, dans les années après 1945, les États occidentaux, États-Unis principalement, renverseront des gouvernements démocratiquement élus (Chili, Guatemala, Congo, Iran, etc.) pour des raisons de contrôle politique ou d’appropriation des réserves d’énergie, soutiendront des groupes armés islamistes comme en Afghanistan ou plus récemment en Libye, soutiendront, également, de manière arbitraire des États ou des organisations en fonction de leur connivence – ethnique, historique, religieuse etc. – au détriment de la justice, les exemples étant légion.
L’UE, paradoxes insolubles :
Pour comprendre le paradoxe des prétentions à l’universalisme des États occidentaux, le cas de l’Union européenne est paradigmatique.
En effet, l’UE, en tant qu’association d’États, ne pouvait se bâtir que sur des principes généraux (droits de l’homme, démocratie, libéralisme), or ces principes généraux ne permettent pas de bâtir une identité spécifique – les droits de l’homme, démocratie, libéralisme n’appartiennent à personne – ce manque d’identité étant un frein à l’action politique et est, de plus, contradictoire pour un groupement d’États dont les histoires sont très identitaires.
D’un autre côté, l’identitarisme est logiquement un danger pour l’UE, car étant composée d’États aux identités fortes, toute revendication identitaire entraînera d’autres revendications ce qui ne permet pas un fonctionnement en commun.
L’UE ne pouvant sortir de ce paradoxe, est condamnée à l’hypocrisie, car dans sa constitution l’antinomie des principes universaux et la revendication d’identité particulière est irrésoluble.
Cette hypocrisie s’est manifestée avec le plus d’évidence dans le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE.
En effet, tous les États de l’UE sont de culture chrétienne, le processus d’adhésion de la Turquie, de culture musulmane, a été la source d’une formidable manifestation d’opposition.
Parmi les arguments utilisés : “la Turquie n’a pas vocation à être dans l’UE”, “la Turquie n’a pas une histoire européenne”, “la Turquie n’est pas géographiquement dans l’Europe”, “la Turquie n’est pas de culture européenne” etc., certains États, comme la France, proposant d’inscrire l’opposition à l’adhésion turque dans leur Constitution.
Des arguments plus conjoncturels ont été utilisés – questions kurde et arménienne – mais, fondamentalement, ce sont des raisons identitaires, donc contraire en théorie aux principes européens, qui seront prépondérantes.
Ainsi, pour contourner leur contradiction de constitution (opposition universalisme/identitarisme), l’UE s’est engagée dans des modes de fonctionnement, d’organisation plus informels : alliances d’organisations civiles au niveau européen, qui bien que se réclamant d’idéologie de gauche internationaliste ou libérale adhère à leur État-nation et au “nationalisme” européen. Ces organisations sont ainsi en collaboration avec les États.
Polarisation du monde :
Plus généralement, dans un monde où les puissances émergentes prennent de plus en plus d’importance, sur les plans économique, politique, géopolitique, et dans lequel le multilatéralisme, l’universalisme, en raison de contradictions (“universalisme particulier”, c’est-à-dire occidental) ont moins de poids, des camps se créent et semble se polariser.
Dans ce cadre d’affaiblissement du multilatéralisme politique, lentement mais surement, l’UE tombe le masque d’un hypocrite “universalisme” qui sert, en fait, de façade à faire prévaloir ses intérêts particuliers, et affirme une identité propre.
Ainsi, en 2017, Emmanuel Macron en voyage en Grèce avait affirmé les racines grecque et chrétienne de l’Europe, et a appelé, récemment, à une “souveraineté européenne” – le terme étant contradictoire car il ne peut y avoir de souveraineté que d’un peuple or il n y’a pas de “peuple européen.”
Ainsi, de nos jours, la crédibilité des politiques reposant sur les principes universalistes battant de l’aile (l’Occident plaçant les autres États sous l’autorité de principes et lois qu’il ne respecte pas), le multilatéralisme politique s’est affaibli et la possibilité de résoudre les conflits dans un cadre international devient également faible.
En 2022, à la volonté de l’OTAN d’encercler la Russie, celle-ci a répondu par une guerre unilatérale contre l’Ukraine, ce qui a accéléré le mouvement d’opposition directe entre l’Occident et la Russie.
L’Ukraine a un territoire stratégique, qui possède, côté européen, des frontières avec 4 pays de l’UE – Pologne, Slovaquie, Hongrie et Roumanie – et, côté russe, plus de 1580 km de frontière.
L’opposition Occident – Russie sera-t-elle générale, avec, notamment, une confrontation avec la Chine ?
La question mérite d’être posée.
Géopolitique du gaz en Méditérranée orientale :
Par ailleurs, dans le cadre de l’exploration du gaz en Méditerranée orientale, les États-Unis et l’UE travaillent à rapprocher Israël, de certains pays arabes (Égypte, Jordanie) et des pays de l’UE (Grèce, Chypre,) dans le cadre d’accords afin de délimiter les zones économiques exclusives, d’explorations et de transports de gaz.
Ainsi, des accords, surnommés le triangle de l’énergie, ont été signés par la Grèce, Chypre et Israël dans le cadre de l’extraction de gaz naturel à partir de gisements offshore en mer Méditerranée. Le gazoduc EastMed doit transporter ce gaz jusqu’en Europe.
Certains commentateurs, affirment que ces rapprochements servent à contrer l’influence de la Russie et de la Chine dans la région.
La Turquie dans le jeu des alliances :
Étrangement, la Turquie est exclue de ces mouvements d’alliance, à la fois par les Etats-Unis mais également par l’UE.
La Turquie étant un pays important de la région, membre de l’OTAN, du Conseil de l’Europe, l’exclusion, par les Occidentaux, de celle-ci des jeux d’alliances actuelles est peu explicable.
Comme signe d’inimitiés supplémentaires, les États-Unis ont envoyé des tonnes d’armements dans la ville de Alexandroupoli en Grèce à quelques kilomètres de la frontière turque, et plusieurs pays occidentaux ont des bases militaires à Chypre, depuis lesquelles ils menacent les navires turcs.
Au vu de la situation, nous pourrions ainsi nous demander si l’Occident a décidé de se passer de la République de Turquie, en misant, par exemple, sur les libéraux et internationalistes de gauche locaux, ceux-ci étant particulièrement antirépublicains, voire même antiturcs.
Ces libéraux et internationalistes de gauche en Turquie seraient alors en retard d’une époque (celui de l’universalisme), ou alors ont-ils tous embarqué, peut-être, dans le navire occidental ?
Ainsi, les changements sont nombreux, et certains commentateurs suggèrent que le nouveau de la mondialisation sera la lutte contre le changement climatique ou les initiatives de maintien du droit maritime.
Quoi qu’il en soit, un nouveau monde est en train de se mettre en place et les prochains mois seront certainement explosifs.
Ilker TEKIN & Kadim Özdemir